Histoire d’une femme qui court avec un loup Jour 1 1er juillet, un mardi, dans
l’après-midi ; ils viennent de se rencontrer dans son bureau à lui. Lui, reste seul dans son bureau.
Elle, de retour chez elle. Michel : Merci pour ces instants précieux : revenez
vite… Claire : Cher Monsieur M., Personnellement,
j’ai hâte de revenir vous voir, ayant apprécié à leur juste valeur ces
moments en votre compagnie. En revanche, professionnellement, je suis restée
dans l’incompréhension du rôle que vous pouvez jouer lors de l’élaboration de
mon projet et m’interroge sur le bien-fondé d’un nouveau rendez-vous axé
cette fois sur la connaissance d’un projet de film. Dans l’attente d’un
« éclairage » de votre part, Très
cordialement, Claire D. (ex-latiniste hors
pair, parfois maladroite, mais sincère) Michel : Chère Claire, Je ne sais pas, en effet, comment exactement je pourrai vous être utile pour la mise en œuvre de votre projet, sinon en étant attentif et présent, mais je suis sûr que nous avons encore dix mille choses à nous raconter, en latin et en français, car c’est bien la première fois que je rencontre une femme comme vous − une « vraie femme » ? −, où je me sens capable de me livrer sans arrière-pensée et d’échanger de manière aussi sincère que spontanée. Venez donc me voir sans aucun motif, pour le plaisir, si vous avez un peu de temps à perdre. Vous pouvez me joindre directement sur le 06.__.__.__.__ (souvent en position messagerie) pour que nous évitions les divers filtres et tous ceux qui nous surveillent… Merci de ne donner ce téléphone à personne ! Je vous embrasse. Le soir. Lui, est parti. Elle,
continue à écrire. Voix Off : Dix mille choses et tant d’autres… Alerte
rouge, incandescente, je sais que je m’aventure là où je peux souffrir mais
j’y vais de pied ferme, fascinée par les mains de cet homme. Tellement
heureuse qu’il n’ait pas peur. Plus
âgé, c’est vrai qu’il pourrait être mon père. Ça m’est égal, complètement
conquise par la musicalité de sa voix si proche de celle de monsieur B. Je
n’attends rien, mais suis déjà emplie puisque j’écris. Et
cette photo dans son bureau, cette route aux deux panneaux, symbole de la
colonne vertébrale que je cherche depuis tant et tant d’années. Il a
des réponses aux multiples questions que je me pose sans chercher jamais à y
répondre moi-même. La vie
n’est-elle pas une suite de questions plus inattendues les unes que les
autres ? Nuit. Jour 2 Mercredi 2 juillet, au matin. Lui, dans son bureau. Elle, dans le
sien. Claire : Cher Monsieur, Comme convenu lors de notre entretien en date du 1er juillet, je vous transmets les
informations relatives au livre intitulé Femmes qui courent avec les loups. Écrit par Clarissa Pinkola Estès,
titulaire d’un doctorat en études multiculturelles et en psychologie
clinique ; en 429 pages (mais ça ne doit pas faire peur), à base de
poèmes, d’histoires et de contes de tradition populaire, elle démontre que −
je cite − « la femme qui récupère sa nature sauvage est comme les
loups ; elle est débordante de vitalité, de créativité, bien dans son
corps, vibrante d’âme et donneuse de vie. » Aux Éditions Grasset. Bien à vous et me tenant à votre disposition pour
tout renseignement complémentaire. Michel : Mais dites-moi, Claire, dévorent-elles aussi tout
cru les pauv’ p’tits hommes qui passent dans les parages ? Et – question
subsidiaire – avez-VOUS récupéré votre nature sauvage ? Je me sens bien
insignifiant face à toute cette vitalité et toute cette énergie, à moins que
ce ne soit contagieux ? Claire : Très cher, Vous
n’avez donc rien compris ? Ces
femmes courent avec les loups, ne les craignent pas, mais n’en sont
pas ! Et, ne
vous en déplaise, vous ne me donnez pas l’image d’un pauv’ p’tit homme, mais
vous apparenteriez plutôt à un loup. Et –
réponse à la question subsidiaire : oui, le chemin suit son cours… sans
panneau d’interdiction, mais confrontée à beaucoup d’autres… Quant
à vous sentir insignifiant, c’est indigne de ce que je sens de vous, à moins
que vous n’appeliez les compliments ? Et
pour clore une conversation qui devine sa fin prochaine, une maladie n’est
contagieuse que dans la mesure où on veut bien se laisser contaminer… Plus
sérieusement, j’ai très envie de venir vous voir dans le seul et unique but
d’échanger « de manière aussi sincère que spontanée ». Je
suis ravie de vous avoir rencontré et l’image de cette route aux deux
panneaux restera gravée dans ma mémoire. Merci et à bientôt. |
L’orgasme
de Valentine (Christelle
Reix, Théâtre)
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